ARNO BOUJIKA, L’ARTISAN DU SAVOIR LIBRE AFRICAIN

Dans un monde où la mémoire collective se construit souvent à travers des récits venus d’ailleurs, Arno Boujika a choisi d’ouvrir une autre porte : celle du savoir libre. Derrière son engagement de wikimédien, il y a une quête personnelle : celle de justice, de vérité et de transmission. Portrait d’un passeur de savoirs qui fait du numérique un terrain de réappropriation culturelle.
Un chemin guidé par la soif de justice et de connaissance
Lorsqu’on lui demande ce qui l’a mené vers la médiathèque et l’univers du savoir libre, Arno répond sans hésiter : « Ce qui m’a guidé, c’est une soif de connaissance mais aussi un besoin de justice. » Pour lui, les histoires et savoirs disponibles ne reflétaient pas toute la richesse de l’Afrique. En entrant dans cet espace, il espérait trouver plus qu’un lieu d’apprentissage : un cadre où chaque voix pouvait compter, sans barrière.
Cette vision s’est cristallisée un jour particulier. « Un étudiant m’a confié qu’en lisant un article auquel j’avais contribué, il avait découvert une autrice camerounaise qu’il ne connaissait pas. » Ce moment fut un déclic. Arno comprit alors que ses contributions dépassaient le simple passe-temps : elles constituaient un véritable acte de transmission culturelle.
Être wikimédien en Afrique : entre urgence et responsabilité
Son engagement se traduit aujourd’hui par un combat qu’il juge vital : documenter l’Afrique avant qu’il ne soit trop tard. « Chaque jour, des traditions, des langues et des récits s’effacent faute d’être racontés », alerte-t-il. Pour lui, la mission des wikimédiens africains est claire : numériser, traduire et diffuser cette mémoire collective afin que les générations futures puissent s’y reconnaître.
Quant au choix des sujets, Arno confie qu’il est guidé par les absences et les silences. « Si un sujet africain est réduit à quelques lignes alors qu’il existe des vies entières derrière, cela m’interpelle. » Ses rencontres et découvertes alimentent également son travail : une conversation avec un ancien, un livre oublié, ou encore une escale à Kribi peuvent devenir la source d’une nouvelle page d’histoire.
Bien sûr, cette démarche n’est pas sans tensions. « Oui, j’ai déjà eu peur de déranger », admet-il. Mais pour lui, bousculer est parfois nécessaire : « Si on ne le fait pas, on perpétue le silence. »
L’Afrique au cœur : récits, transmission et mémoire
Quand on l’interroge sur ce qui mérite d’être mieux raconté sur l’Afrique, Arno répond avec conviction : il faut dépasser les clichés. « L’Afrique ne se résume pas à la pauvreté ou aux conflits. Ce qui manque en ligne, ce sont les récits de nos penseurs, nos artistes, nos scientifiques, nos femmes et nos jeunes qui construisent l’Afrique d’aujourd’hui. »
En tant que Camerounais, sa mission prend un accent encore plus personnel. À la jeunesse de son pays, il souhaite transmettre une certitude : « Leur histoire leur appartient. Ils n’ont pas à attendre que d’autres racontent qui ils sont. » C’est ce qu’il appelle un Cameroun écrit par les Camerounais.
Entre fiertés, doutes et utopies
À la fin d’une longue journée de contributions, ce qui rend Arno le plus fier, c’est de savoir que quelque part, une personne découvrira grâce à lui une information qui serait restée enfouie. Pourtant, il confesse une frustration que peu soupçonnent : « Parfois je me demande si tout ce travail ne disparaîtra pas dans le flot immense d’internet. » Mais comme une graine, même une petite trace peut donner naissance à de grandes choses.
Et si aucun obstacle ne se dressait, Arno rêve d’une utopie numérique : un espace où chaque enfant africain, quelle que soit sa langue ou son village, aurait accès gratuitement à toute la connaissance du monde, et surtout, la possibilité d’y ajouter la sienne.
Un regard singulier sur le savoir libre
Avec sa sensibilité, Arno humanise même Wikipédia. « Je lui dirais : merci d’avoir ouvert la porte. Mais laisse-nous redécorer la maison pour qu’elle ressemble aussi à l’Afrique. »
Quant à l’expression qui le guide au quotidien, elle tient en une maxime empreinte de sagesse : « Traitez bien les gens, car demain est un mystère. »
Arno BOUJIKA n’est pas seulement un contributeur à Wikipédia. Il est un bâtisseur de mémoire, un veilleur qui refuse que l’Afrique se raconte uniquement à travers les prismes extérieurs. En donnant sa voix au savoir libre, il offre aux générations futures une bibliothèque vivante, faite de récits authentiques et de regards pluriels.
À travers son engagement, une idée s’impose : écrire, c’est exister. Et grâce à des passeurs comme lui, l’Afrique numérique continue de se réapproprier son histoire.
Crédit photo: Etienne TALLA